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1.Contexte historique : Nintendo et les AAA tiers, une relation tumultueuse

Dans les années 80 et au début des 90, Nintendo règne en maître. La NES puis la Super Nintendo dominent le marché mondial, portées par des licences maison comme Mario, Zelda ou Metroid, mais aussi par un soutien massif des éditeurs tiers. Square, Capcom, Konami, Namco… tous publient leurs hits sur les consoles de Kyoto. Le Japon est alors le centre névralgique du jeu vidéo, et Nintendo son chef d’orchestre.

Le divorce des années 90 : quand un CD change tout

Mais à l’aube du virage technologique, tout bascule. Alors que le marché se tourne vers le CD-ROM, Nintendo choisit de rester fidèle à la cartouche pour sa future Nintendo 64. Ce choix, motivé par la rapidité d’accès et la lutte contre le piratage, s’avère coûteux : les cartouches sont plus chères à produire, limitées en stockage, et peu flexibles pour les développeurs. Résultat : les tiers migrent vers des plateformes plus ouvertes.

• Square Enix abandonne Nintendo pour sortir Final Fantasy VII sur PlayStation.

• Namco installe Tekken chez Sony.

• Capcom multiplie ses succès sur PS1 avec Resident Evil, Dino Crisis, Street Fighter Alpha.

L’ironie de l’histoire, c’est que Sony devait initialement être partenaire de Nintendo pour développer un lecteur CD pour la Super NES. L’accord capote brutalement, Nintendo annonce un partenariat avec Philips dans le dos de Sony, et ce dernier se venge en lançant sa propre console en 1994. La PlayStation, centrée sur le CD, devient un raz-de-marée mondial.

Ce “divorce” des années 90 marque le point de départ d’un duel larvé avec Sony qui plane encore aujourd’hui… et qui résonne jusque dans la confrontation Switch 2 vs PlayStation 5.


GameCube, Wii, Wii U : l’isolement se confirme

Nintendo tente de regagner du terrain avec la GameCube (2001). Le mini-DVD, une architecture plus ouverte, et même les “Capcom Five” (dont Resident Evil 4) devaient symboliser un retour des AAA. Mais face à la toute-puissante PS2, l’initiative fait long feu. Les ventes sont modestes (22M d’unités), les tiers restent prudents, et la console peine à s’imposer comme plateforme principale.

Avec la Wii (2006), Nintendo change de stratégie. Il séduit le grand public avec une console accessible, centrée sur le motion gaming. Succès colossal : plus de 101M d’unités vendues. Mais sa puissance limitée empêche l’accueil des gros AAA. La Wii devient le royaume des party games, des jeux familiaux, et des productions internes. Les tiers s’adaptent mal à la Wiimote, et les portages sont rares ou fortement dégradés.

La Wii U (2012), elle, accentue le fossé. Mal positionnée, mal comprise, et techniquement en retard, elle se prive quasi totalement de soutien tiers. Les ventes s’effondrent (13,5M d’unités), et Nintendo se replie sur ses franchises maison. L’écosystème devient fermé, centré sur Mario, Zelda, Smash Bros, Pokémon. Les AAA tiers sont absents, ou anecdotiques.


La Switch : retour en grâce… mais en second rôle

La Switch (2017) change la donne. Son concept hybride — console de salon et portable — séduit immédiatement. Le line-up de lancement est fort (Zelda: Breath of the Wild, Mario Kart 8 Deluxe, Splatoon 2), et les ventes explosent. En 2025, la Switch dépasse les 130 millions d’unités, devenant l’une des consoles les plus vendues de l’histoire.

Mais pour les AAA tiers, elle reste en retrait. Sa puissance limitée oblige les studios à faire des compromis :

• Portages downgradés : The Witcher 3, Doom, Skyrim tournent, mais avec des graphismes fortement réduits.

• Versions cloud tardives : Resident Evil 7, Village, Control, Hitman 3 arrivent, mais uniquement en streaming, souvent instables ou dépendants de la connexion.

Les éditeurs font des efforts, mais la Switch reste une plateforme secondaire pour les AAA. Les gros titres arrivent en décalé, avec des concessions techniques, et rarement en day one.

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Le cliché du joueur Nintendo

Un cliché s’installe : les joueurs Nintendo achèteraient surtout Mario, Zelda, Pokémon. Ce stéréotype, bien que partiellement fondé, devient une excuse pour les éditeurs tiers. Pourtant, les chiffres racontent une autre histoire :

• Monster Hunter Rise dépasse les 13 millions d’exemplaires, en exclusivité temporaire sur Switch.

• The Witcher 3 sur Switch dépasse le million d’unités, malgré ses limites techniques.

• Les jeux indés explosent : Hades, Dead Cells, Hollow Knight trouvent sur Switch un public fidèle.

Le problème n’est pas la demande, mais l’offre. Les AAA tiers arrivent peu, tard, ou en version dégradée. Le public Nintendo est là, mais il est sous-exploité.


Parenthèse portable : l’exception DS/3DS

Il faut noter que sur le terrain des consoles portables, Nintendo a su maintenir un lien fort avec certains éditeurs tiers :

• La Nintendo DS (2004) a accueilli des RPG majeurs comme Dragon Quest IX, The World Ends With You, Phoenix Wright.

• La 3DS (2011) a vu fleurir des licences comme Monster Hunter, Bravely Default, Fire Emblem (en partenariat avec Atlus).

Mais ces succès étaient souvent liés à des budgets plus modestes, des contraintes techniques acceptées, et un public plus ciblé. Le défi de la Switch 2 est différent : convaincre les éditeurs de lancer leurs AAA principaux, pas leurs spin-offs.


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Switch 2 : le basculement

Avec la Switch 2, le ton change. Dès ses premiers mois, la console accueille des poids lourds modernes comme Cyberpunk 2077 Ultimate Edition, Street Fighter 6 ou Star Wars Outlaws. Ces titres confirment la capacité technique de la machine, mais arrivent encore en léger décalage.

Le vrai tournant arrive avec Resident Evil Requiem. Pour la première fois, un AAA majeur sortira en simultané sur Switch 2, PS5, Xbox Series et PC. Une première historique qui change la perception de Nintendo sur le marché.