Les Origines du mythe (incontournables)
Jeu 1 - Devil May Cry - Jeu 2 - Final Fantasy X - Jeu 3 - Silent Hill 2 - Jeu 4 - Ico - Jeux 5 - Metal Gear Solid : Snake Eater
Titre du jeu
Le choc d’un monde nouveau
L’été 2001 marque un tournant. La PlayStation 2 vient tout juste de s’imposer comme la console reine, et SquareSoft, encore auréolé du triomphe de Final Fantasy VII et IX, prépare son passage à la 3D intégrale.
Avec Final Fantasy X, le studio japonais veut tout réinventer : nouvelle architecture, doublages vocaux, caméra cinématique, direction artistique organique et système de combat plus lisible. Le projet, dirigé par Yoshinori Kitase, Kazushige Nojima et Motomu Toriyama, s’impose comme la première grande production de l’ère PS2, vitrine technologique et émotionnelle à la fois.
Mais derrière la prouesse technique, FFX cache un virage symbolique : c’est aussi le premier épisode sans Hironobu Sakaguchi à la tête du projet principal. Le créateur historique se concentre sur Final Fantasy: The Spirits Within — un film qui, ironiquement, précipitera la chute financière de Square. Pendant ce temps, Kitase et son équipe livrent sur console un chef-d’œuvre qui restera comme le chant d’ouverture d’une nouvelle génération.
Un monde nommé Spira
L’histoire s’ouvre sur une vision de fin : un groupe de héros se repose avant un dernier combat, au sommet d’un désert. Tidus, jeune star du blitzball, raconte son voyage comme un souvenir brisé.
Tout commence à Zanarkand, cité futuriste balayée par la mer. En une nuit, le monde s’effondre : une créature gigantesque, Sin, ravage la ville et projette Tidus dans un univers inconnu — Spira. Là, les technologies ont disparu, remplacées par la foi, la magie et la peur. Le jeune homme y rencontre Yuna, une invokeuse en pèlerinage dont la mission est de vaincre Sin, au prix de sa vie.
À mesure que leur périple progresse, Final Fantasy X déploie une mythologie complexe :La religion Yevon régit tout, mais cache des mensonges millénaires, les Al Bhed, peuple technophile, sont persécutés, le monde tout entier vit au rythme d’un cycle de mort et de renaissance orchestré par Sin.Loin des intrigues politiques de FFVIII ou de la fantasy légère de FFIX, FFX choisit la voie spirituelle : il parle de mémoire, de rédemption, de foi et d’oubli.
Personnages et émotions
Chaque protagoniste symbolise un fragment du thème principal : la quête de sens dans un monde condamné.
➤ Tidus, jeune héros projeté hors du temps, incarne l’innocence et le refus de la fatalité.
➤ Yuna, invokeuse sacrificielle, représente la foi et la résilience.
➤ Auron, guerrier spectral, guide le groupe tout en cachant son propre secret.
➤ Wakka, Lulu, Kimahri et Rikku complètent un casting aux interactions subtiles.
C’est le premier Final Fantasy entièrement doublé, et cette nouveauté change tout. Même si le jeu souffre parfois de lip-sync approximatif (la PS2 ne pouvait pas adapter les lèvres selon les langues), l’interprétation donne une profondeur émotionnelle inédite.
Le duo Tidus–Yuna devient emblématique : leur histoire d’amour, pure et tragique, trouve son apogée dans la scène du lac Macalania, l’un des moments les plus poétiques de la série.
Gameplay : l’équilibre parfait entre stratégie et fluidité
Le système de combat CTB (Conditional Turn-Based) remplace l’ATB historique par une structure entièrement visible. Le joueur voit les tours à venir et peut échanger les combattants en temps réel, créant un rythme tactique fluide et lisible.
Le Sphérier, grille d’évolution géante, remplace le niveau classique. Chaque personnage avance dans un labyrinthe d’aptitudes liées entre elles, offrant une progression souple et hautement personnalisable.
Les Aeons, invocations de Yuna, sont désormais jouables : elles deviennent des combattants à part entière, avec leurs statistiques et leurs attaques ultimes. Et en parallèle, le Blitzball, mini-jeu de sport aquatique, offre une seconde vie au titre, mixant RPG, gestion et stratégie avec une profondeur insoupçonnée.
Dans les coulisses de Spira – L’audace de SquareSoft
Le développement de Final Fantasy X débute officiellement en mars 1999, dans une effervescence totale chez Square. L’équipe est rassemblée au sein d’une nouvelle cellule interne, Production 10, qui a pour mission unique : créer un Final Fantasy exclusivement pensé pour la PS2. À l’époque, c’est une révolution — jusqu’alors, chaque épisode devait aussi tourner sur PC ou être “porté” ailleurs. Là, Square veut démontrer toute la puissance de la console de Sony, sans compromis.
Le moteur Siren est écrit de zéro pour la machine. Il intègre un système de streaming des décors permettant à la PS2 de charger des zones entières sans écran noir : une prouesse en 2001. Les développeurs racontent que ce moteur était aussi instable qu’ambitieux : il plantait plusieurs fois par jour, forçant les programmeurs à tout recompiler manuellement. Certains ingénieurs avaient pris l’habitude de garder deux PC côte à côte — un pour coder, l’autre pour sauvegarder en continu, “au cas où Spira exploserait avant le déjeuner”.
Le studio Visual Works, déjà responsable des intros de FFVIII et FFIX, signe ici près d’une heure de cinématiques en qualité quasi filmique. Les effets d’eau du lac Macalania, notamment, sont restés la référence technique du moteur pendant plus de dix ans : l’équipe avait simulé la réfraction et la distorsion lumineuse à la main, image par image, faute de shaders programmables sur PS2.
Au total, plus de 100 personnes travaillent quatre ans sur le jeu, pour un budget estimé à 35 millions de dollars, record absolu pour un RPG japonais à l’époque. Square fait venir des consultants extérieurs de l’industrie du film pour encadrer la mise en scène. Certaines séquences, comme la cérémonie d’envoi de Yuna, ont été storyboardées comme des plans de cinéma, avec caméra virtuelle, profondeur de champ et filtres atmosphériques.
Le doublage fut l’un des plus grands défis. Le script anglais dépassait les 800 pages et comptait plus de 10 000 lignes enregistrées. Le système facial, limité, ne permettait pas d’animer les lèvres librement ; les ingénieurs ont alors conçu en urgence un outil baptisé “Lip Adjuster”, capable de décaler les répliques manuellement image par image. Les sessions furent si longues que James Arnold Taylor (voix de Tidus) perdit temporairement sa voix à mi-parcours — il a raconté plus tard avoir “redonné vie à un héros qui parlait trop vite pour une console trop lente”.
Côté audio, la production a nécessité trois studios d’enregistrement en simultané : Tokyo, Los Angeles et Prague. Les orchestrations ont été confiées au City of Prague Philharmonic Orchestra, sous la supervision directe de Nobuo Uematsu. Square a dû inventer un format audio hybride PCM/Atrac pour compresser la musique orchestrale sans la dégrader — une innovation qui servira plus tard à Kingdom Hearts.
Pour tenir les délais, de nombreux éléments ont été sacrifiés : un temple secondaire à Kilika, plusieurs mini-jeux, et une sous-intrigue centrée sur Lulu, partiellement réutilisée dans Final Fantasy X-2. Des prototypes montraient même un système de climat dynamique sur la plaine Félicité, abandonné à cause de la mémoire limitée de la PS2.
Et malgré cette complexité, Square ne céda rien à la mise en scène : chaque plan, chaque goutte d’eau, chaque sourire de Yuna a été pensé comme un moment de cinéma.
Quand Final Fantasy X sort à l’été 2001 au Japon, les développeurs sont épuisés — mais conscients d’avoir créé un jalon. Yoshinori Kitase dira plus tard :
“Nous n’avons pas seulement changé de génération de console. Nous avons changé de manière de raconter.”
Réception critique
À sa sortie, Final Fantasy X reçoit une ovation mondiale.
➤ Famitsu : 39/40
➤ IGN : 9,5/10
➤ GameSpot : 9,3/10
➤ Metacritic : 92/100
Les critiques saluent unanimement la direction artistique, le système de combat et l’émotion du scénario. Seules les légères lourdeurs du doublage anglais font débat.
Commercialement, c’est un raz-de-marée: 6,6 millions d’exemplaires vendus en un an, plus de 10 millions aujourd’hui (toutes versions confondues). Il devient le jeu le plus vendu de l’histoire de Square avant la fusion avec Enix.
Héritage et continuité
Deux ans plus tard, Final Fantasy X-2 prolonge l’aventure.
Premier épisode à avoir une suite directe, il divise mais impressionne par sa liberté et son ton plus pop.
En 2013, la version HD Remaster sur PS3/PS4/PC redonne vie à Spira, confirmant la pérennité de l’œuvre.
Le jeu est aujourd'hui jouable sur tout les supports du moment, pas possible de le rater.
FFX est aussi le point d’équilibre du JRPG classique : après lui, la série glissera vers l’action (FFXII, FFXV), laissant derrière ce modèle à tour par tour parfaitement abouti.
Pourquoi il mérite sa place dans les 25 ans de la PS2
Parce qu’il a redéfini les contours du JRPG moderne — en le rendant cinématographique, émotionnellement profond et universel. Parce qu’il a transformé la PlayStation 2 en un sanctuaire narratif, capable de rivaliser avec le langage du cinéma. Parce qu’il a su relier deux ères du jeu vidéo — celle du pixel et celle du polygone — dans une œuvre de transition aussi technique que poétique.
Et parce qu’au-delà des chiffres, des ventes et des critiques, Final Fantasy X demeure ce que peu de jeux osent être : une prière mise en scène, une offrande interactive à la mémoire, au deuil et à l’amour.