...tandis que Nintendo gère l'atterrissage de la Switch avant le lancement de sa remplaçante. Ce ne sont pas des chutes, mais des atterrissages contrôlés qui témoignent d'une gestion de fin de cycle.
Les pics de début de génération existent toujours, mais la longue traîne s'épuise plus vite. L'élargissement structurel du public n'est plus le ressort principal de la croissance. L'industrie a cessé de conquérir des continents vierges : elle administre désormais un territoire dense.
Un territoire saturé
Sur le plan social, le jeu vidéo n'est plus une mode adolescente mais un paysage générationnel. En 2024, l'ESA situe l'âge moyen du joueur à 36 ans, contre 29 ans vingt ans plus tôt. La base historique est restée fidèle et a vieilli avec le médium. La marge de conquête n'est plus chez les adultes, elle se joue chez les plus jeunes, qui naviguent ailleurs.
Côté business, les segments qui progressent ne sont plus forcément les unités de consoles vendues, mais les services liés à ces consoles : abonnements, achats en ligne, contenus additionnels. Sony le formule explicitement dans sa documentation investisseurs : la plateforme PlayStation s'appuie de plus en plus sur des revenus récurrents issus du réseau et des services pour stabiliser sa trajectoire lorsque le hardware ralentit.
Le décalage générationnel
Le signe le plus parlant de la maturité se trouve peut-être dans ce décalage générationnel. Début 2025, les données de Circana relayées par le Wall Street Journal montrent que les 18-24 ans ont réduit leurs achats de jeux d'environ 25% sur la période janvier-avril par rapport à l'année précédente, alors que le recul chez les autres tranches reste inférieur à 5%. En parallèle, leurs dépenses globales baissent d'environ 13%, reflet d'un contexte économique plus rude pour l'entrée dans la vie active.
Ce n'est pas une désaffection du jeu en tant que tel, mais une mutation d'arbitrage. Les tendances 2025 de Deloitte quantifient ce basculement d'attention : les Gen Z passent 54% de temps en plus que la moyenne sur les contenus sociaux et UGC, et 26% de moins sur les contenus premium traditionnels. Ce temps n'est pas illimité : ce qu'on donne à l'UGC, on l'ôte au reste, et mécaniquement, au jeu console à 70 €.
À l'échelle macro, cela n'enlève pas à l'écosystème sa viabilité, mais son réservoir de croissance facile. L'industrie ne peut plus compter sur une marée montante de primo-acheteurs pour masquer ses creux. Elle doit monétiser durablement ceux qui sont déjà présents.
L'architecture du modèle récurrent
Ce glissement s'est produit progressivement. Il commence avec les boutiques en ligne de l'ère 360/PS3, s'accélère avec les abonnements, et culmine avec l'idée que la console n'est plus l'étoile mais le port d'attache. On y accoste pour accéder à une économie de services : bibliothèques à la Netflix, prolongements via DLC et battle pass, réductions et événements live qui maintiennent l'engagement.
Dans ce cadre, la métrique centrale n'est plus seulement le nombre de consoles vendues, mais le nombre de joueurs actifs payants, d'abonnés, et la dépense moyenne par utilisateur. Le passage au modèle récurrent est un filet de sécurité et un moteur de marge.
La croissance sélective
Une objection légitime se pose : si le marché est mature, pourquoi les revenus console montent-ils encore ? La réponse est simple : maturité ne signifie pas décroissance, mais croissance plus lente, plus sélective, plus dépendante de l'exploitation d'une base existante. Les données de Newzoo pour 2025 illustrent ce paradoxe : le marché global atteindrait 188,8-189 milliards de dollars, et la console serait le moteur de la hausse cette année-là, tandis que le mobile marque le pas. On ne vend pas forcément plus de machines, on vend plus dans les machines.
L'arrivée d'une nouvelle console peut ranimer la flamme sans réinventer le marché. Ampere anticipait ainsi plus de 13 millions d'acheteurs pour la Switch 2 en 2025, avec un potentiel contenu de 7-8 milliards de dollars sur les deux premières années. Ces chiffres montrent qu'un renouvellement réactive un public déjà conquis, plus qu'il ne crée une terra incognita.
L'argent circule toujours, parfois même davantage, mais l'élargissement structurel du public n'est plus le ressort principal. La maturité n'est pas une fin, c'est une forme.
Les implications pour les acteurs
Pour les constructeurs, le hardware reste la clé d'entrée, mais l'équation économique bascule : moins de dépendance à l'unité vendue, plus de dépendance à l'écosystème captif. Les roadmaps s'articulent autour d'offres d'abonnement, de paliers de services, et d'un discours constant sur la rétention plutôt que sur la seule acquisition.
Pour les éditeurs, la maturité signifie : un parc installé dense, un espace publicitaire saturé, des coûts de développement en hausse, et donc la nécessité de lisser le risque. Éditions Deluxe et Ultimate, DLC et saisons qui prolongent la durée de vie, free-to-play et cosmétiques qui agrandissent la base adressable sans ticket d'entrée. La croissance vient moins de "plus de clients" que de "plus par client".
Pour les joueurs, c'est ambigu : d'un côté, un flux constant de contenus, des jeux qui durent grâce aux mises à jour, des offres à bon rapport qualité-prix pour qui joue beaucoup. De l'autre, une impression de captivité : les jeux complets se fragmentent, l'addition grimpe, et la valeur perçue se négocie en permanence.

Les jeunes comme indicateur
Le recul des dépenses chez les 18-24 ans ne signe pas la fin de la console, mais oblige l'écosystème à repenser l'entrée : plus d'essais via abonnement, de cross-play qui efface les frontières, de jeux sociaux abordables. Dans un monde où l'on passe plus de temps sur l'UGC que sur un jeu, la console doit cohabiter : c'est moins un terminal exclusif qu'un hub capable de parler le langage de TikTok ou de YouTube sans renier le AAA.
Le message n'est pas "les jeunes ne jouent plus", mais "les jeunes optimisent une équation de temps-argent différente". L'industrie qui prospérera sera celle qui respecte ce calcul au lieu de le combattre.
La photographie 2025
Les parcs installés de PS5 et Switch restent massifs, et les pics de début ou mi-cycle existent encore. Mais les fabricants révisent plus tôt leurs trajectoires et préparent la relève. Les revenus de la console continuent de croître en 2025, mais la hausse se concentre sur le contenu et les services, pas sur une explosion de machines. Les cabinets décrivent une croissance modérée, plus exigeante, où le contenu événement joue le rôle de moteur ponctuel.
Les jeunes achètent moins de jeux premium qu'il y a un an, leur temps dérive vers le social et l'UGC. Ce n'est pas un rejet, c'est un rééquilibrage, et un rappel : la proposition de valeur du jeu à 70 € doit être cristalline pour convaincre.