Même quand les premiers portables grand public se sont démocratisés dans les années 1990, ils n’avaient rien du compagnon de jeu que l’on imagine aujourd’hui : ils servaient avant tout à la bureautique, avec des claviers bruyants, des écrans ternes et une autonomie ridicule.
Le jeu portable, lui, a très tôt trouvé son identité. Nintendo a ouvert la voie avec la Game Boy (1989) : un écran monochrome, quatre piles AA, mais une promesse révolutionnaire : jouer partout. Derrière, la PlayStation Portable (2004) ou la DS (2004) ont perfectionné la formule, chacune avec sa propre philosophie. La PSP proposait une expérience proche de la console de salon dans un format réduit, avec ses UMD et ses graphismes 3D qui impressionnaient pour l’époque. La DS, elle, misait sur l’innovation tactile et le double écran pour séduire un public plus large, au-delà du cercle des “gamers traditionnels”. Dans les années 2010, la Switch a fusionné les deux univers : console portable, console de salon, une seule machine.
Mais ces machines partageaient toutes un point commun : elles restaient des écosystèmes fermés. Une Game Boy, c’était des cartouches dédiées. Une PSP, c’était l’UMD. Une Switch, ce sont des jeux optimisés pour un hardware spécifique. Les compromis techniques faisaient partie du contrat : moins de puissance, des graphismes simplifiés, des framerates parfois instables, mais en échange la mobilité.

Pendant ce temps, le PC portable tentait timidement de s’inviter dans la partie. Dans les années 2000, Alienware et quelques autres constructeurs proposaient déjà des laptops “gamers”. Massifs, épais, bardés de LED criardes, ces monstres de plusieurs kilos étaient portables seulement de nom. Oui, ils faisaient tourner les jeux PC, mais au prix d’une autonomie famélique et d’un ventilateur qui transformait la chambre en salle des machines. Ce n’était pas une console de salon, encore moins une console portable : juste un PC transportable pour les passionnés capables d’investir plusieurs milliers d’euros.
À côté de ça, une scène plus artisanale commençait à bricoler des alternatives. GPD, Ayaneo ou encore One Netbook proposaient des petites machines, mi-consoles, mi-PC, capables de lancer Windows et donc les jeux Steam. Mais les limites étaient criantes :
➤ Des composants trop faibles, souvent en retard d’une génération par rapport aux PC fixes.
➤ Une autonomie désastreuse, parfois sous l’heure de jeu.
➤ Une ergonomie douteuse, avec Windows mal optimisé pour un écran tactile et des manettes intégrées bricolées.
➤ Des prix élevés, sans commune mesure avec l’expérience réellement proposée.
Résultat : ces appareils restaient des curiosités, réservées à un public de niche : passionnés de technologie, collectionneurs de consoles exotiques, ou joueurs PC nomades prêts à accepter toutes les concessions pour avoir Skyrim dans un train. Mais en aucun cas ils ne représentaient une menace pour la console de salon ou pour le monopole de Nintendo sur le marché du jeu portable.
Le contraste est frappant : là où les consoles portables étaient conçues dès le départ pour l’expérience de jeu – optimisation logicielle, exclusivités, ergonomie –, les PC portables gaming étaient des détournements de machines de bureau. Ils n’étaient pas pensés pour le jeu dans leur ADN, mais pour le compromis : mettre un maximum de puissance dans un minimum de volume, sans jamais résoudre le problème central : l’équilibre entre performance, autonomie et confort.
Pourtant, l’idée sous-jacente était déjà là. Les joueurs PC rêvaient de transporter leur bibliothèque Steam partout avec eux. Les technologies de virtualisation ou de streaming, comme le Steam Link ou plus tard le xCloud, tentaient d’apporter une réponse, mais elles se heurtaient aux réalités : nécessité d’une connexion stable, input lag, compatibilité limitée. Bref, aucune solution ne permettait de prendre un PC, de l’allumer comme une console, et de jouer instantanément, sans bidouiller.

C’est ce vide qu’allait venir combler Valve. Mais avant ce pivot, il faut mesurer à quel point le terrain était fertile. Le marché des portables gaming existait déjà, mais sous la forme d’une jungle d’appareils imparfaits. Nintendo, de son côté, avait prouvé avec la Switch que le modèle hybride séduisait massivement : plus de 130 millions de consoles vendues. Mais du côté PC, rien d’équivalent. Pas d’écosystème simple, pas de machine “clé en main” capable de rivaliser avec l’expérience console.
En résumé, jusqu’au début des années 2020, on pouvait dresser trois constats :
➤ Le jeu portable, c’était le domaine des consoles dédiées, fermées, mais optimisées.
➤ Les PC portables gaming existaient, mais restaient des produits de niche, lourds, chers et peu ergonomiques.
➤ Le rêve d’un PC-console portable capable de combiner la liberté de la bibliothèque PC et la simplicité d’une console n’avait jamais été réalisé.
Et c’est précisément cette frontière que Valve allait bousculer avec le Steam Deck. Pour la première fois, un constructeur allait réussir à transformer un PC en véritable console de salon portable, en assumant les codes de l’industrie console (interface simple, écosystème intégré, prix abordable) tout en gardant la richesse du catalogue PC.