Une gestation interminable
Si l’impression d’avoir entendu parler de Metroid Prime 4 pendant des années sans jamais vraiment le voir semble tenace, ce n’est pas un mirage. Le projet est annoncé une première fois en 2017, lors d’un Nintendo Direct E3 réduit à un simple logo sur fond noir, avec la promesse d’un nouvel épisode Prime développé en externe pour la Switch.
Deux ans plus tard, Nintendo fait quelque chose de rarissime : reconnaître publiquement que le chantier ne répond pas à ses attentes. Le développement est relancé de zéro, cette fois confié à Retro Studios, le studio texan à l’origine de la trilogie Prime sur GameCube et Wii. À partir de là, silence radio pendant de longues années, au point que le jeu devient presque un running gag des Nintendo Direct.
Il faut attendre juin 2024 pour que le titre complet, Metroid Prime 4: Beyond, soit enfin dévoilé dans une véritable bande-annonce : Samus qui sort de son vaisseau, un complexe de recherche à explorer, le retour du chasseur de primes Sylux et un premier coup d’œil à une planète forestière qui sera plus tard identifiée comme Viewros, avec une sortie calée à 2025.
Nintendo remet une couche début 2025 avec une seconde présentation consacrée à Viewros, à la civilisation Lamorn et aux nouveaux pouvoirs psychiques de Samus, avant de confirmer dans la foulée une édition dédiée à la Switch 2, avec options 4K/60 fps ou 1080p/120 fps et quelques raffinements propres au nouveau hardware. Des démos jouables circulent ensuite sur les salons, histoire de prouver que le jeu existe enfin manette en main, jusqu’à la sortie mondiale du 4 décembre 2025, dix-huit ans après Metroid Prime 3: Corruption.
Entre annonce prématurée, reboot complet et communication au compte-gouttes, Metroid Prime 4: Beyond arrive donc avec un poids historique énorme sur les épaules. Raison de plus pour le décortiquer en profondeur plutôt que de se contenter de la simple satisfaction de voir enfin un logo se transformer en jeu vidéo.
Un monde fascinant… mais un hub qui tourne un peu à vide
Une fois le crash initial passé, Metroid Prime 4: Beyond se remet vite en place. Viewros est une belle planète à explorer, avec ses biomes marécageux, ses complexes lamorniens et ses zones plus verticales qui rappellent ce que la série sait faire de mieux : des couloirs denses, des salles imbriquées, des raccourcis qui se dévoilent au rythme de l’arsenal de Samus.
La structure repose sur un grand hub désertique, Sol Valley, qui relie les différentes zones où se cachent les cinq fameuses clés. Sur le papier, l’idée d’une vallée centrale à parcourir en moto a du sens : donner un minimum d’ampleur, offrir une respiration entre deux donjons, proposer quelques détours pour récupérer des cristaux et dénicher des améliorations d’armes via de petites énigmes environnementales.
La carte n’est pas gigantesque et on passe assez vite d’une extrémité à l’autre, mais l’envie d’arpenter Sol Valley s’essouffle rapidement. On finit par la parcourir par obligation plus que par curiosité, en suivant des marqueurs plutôt qu’une vraie envie d’exploration.
Les biomes reliés par ce hub restent les segments les plus réussis de l’aventure, avec des ambiances fortes et un sens du rythme globalement maîtrisé. Chaque secteur abrite sa clé, ses ennemis, ses pièges et quelques détours pour récupérer des upgrades. Mais là encore, une volonté de simplification se fait sentir : cartes efficaces plutôt qu’inoubliables, moins tordues que dans les meilleurs épisodes de la trilogie Prime, avec un petit manque de “punch” ou de panoramas vraiment marquants qui restent en tête longtemps après. Beyond offre de très bons moments en intérieur, mais un overworld qui dilue la tension au lieu de la porter.
Gameplay : un cœur de Prime, des ajouts discutables
Manette en main, Beyond reste clairement un Metroid Prime. Vue à la première personne, verrouillage des cibles, gestion des rayons et des missiles, Morph Ball pour les conduits étroits, scanner pour lire l’environnement… tout renvoie à ce mélange unique entre FPS et Metroidvania, où l’on alterne tir précis, observation du décor et mémorisation mentale des zones déjà explorées.
Les nouveautés se concentrent surtout sur deux axes : les pouvoirs psychiques, et la moto Vi-O-La, pensée pour filer à toute allure dans le hub désertique.
Les pouvoirs psy servent avant tout à morceler la carte : surfaces à activer, champs d’énergie à manipuler, plateformes à révéler, verrous à débloquer. L’idée est d’ajouter une couche de lecture supplémentaire au level design, mais dans les faits, ces capacités restent le plus souvent des variations d’une même action contextuelle. On s’en sert parce qu’il faut le faire pour progresser, plus que par réel plaisir de détourner les règles ou de casser la logique des lieux. Les énigmes associées sont claires, parfois trop sages ; la plupart se résolvent sans véritable moment de fulgurance, là où la série a déjà proposé des puzzles bien plus retors.
La moto, à l’inverse, surprend agréablement en termes de prise en main. Rapide, précise, agréable à piloter, elle apporte une sensation de vitesse qui tranche avec la démarche plus lourde de Samus à pied. Le problème tient moins à l’engin lui-même qu’à ce qu’il sert : un désert qui manque de matière. En retirant la moto, il suffirait de resserrer les distances pour que la structure tienne sans ce gimmick, et on se surprend à se demander si l’équilibre global n’en sortirait pas gagnant. En l’état, la Vi-O-La reste un jouet plaisant, mais attaché à une zone qui donne souvent l’impression d’exister uniquement pour justifier sa présence.
Combats & boss : la vraie réussite de Beyond
Sur ce terrain, Metroid Prime 4: Beyond fait presque l’unanimité. Le jeu se réveille vraiment dès qu’un boss entre en scène, avec un casting pas immense mais très travaillé. Chaque affrontement important est pensé comme un set-piece à part entière : patterns bien découpés, phases qui s’empilent au fil du combat, variations d’attaques claires à lire et mise en scène suffisamment nerveuse pour maintenir la pression sans sombrer dans le chaos illisible. On retrouve ce mélange de tension et de lecture qui faisait la force de la trilogie originale. Les grands boss de Beyond figurent parmi les moments les plus mémorables de l’aventure, parfois au niveau des meilleurs souvenirs laissés par Metroid Prime.
Exploration, backtracking et durée de vie
La progression de Metroid Prime 4: Beyond reste calée sur la grammaire historique de la série : on découvre une zone, on y arrache un nouveau pouvoir, puis on rebrousse chemin pour forcer une porte jusque-là hermétique, glacer un mur de lave ou réveiller un mécanisme lamornien oublié. Sur le papier, rien de choquant : le backtracking fait partie de l’ADN de Metroid. Mais ici, la manière de l’articuler finit par peser. Le jeu multiplie les aller-retour entre secteurs pour récupérer une amélioration précise avant de vous renvoyer, parfois quelques minutes plus tard, à l’autre bout de la carte. Dans les meilleurs épisodes, ces retours sont l’occasion de redécouvrir des zones sous un nouveau jour ; dans Beyond, le problème est que cette gymnastique passe trop souvent par Sol Valley, ce désert central que l’on traverse en mode automatique, les yeux rivés sur les marqueurs d’objectif plutôt que sur le décor. La taille contenue de la carte et la vitesse de la moto évitent que la lassitude ne se transforme en véritable calvaire, mais le hub donne clairement l’impression de gonfler artificiellement les trajets plus que de nourrir l’exploration.
Côté durée de vie, entre 20 et 25h pour voir le générique en suivant le fil de la quête sans trop musarder, tandis que les plus curieux devront tabler sur une bonne quarantaine d’heures pour nettoyer chaque recoin, compléter la base de données et récupérer l’intégralité des améliorations. Le mode Difficile vient donner un challenge supplémentaire pour les joueurs aimant souffrir un peu. C’est honnête, surtout au regard de la densité de certains donjons et de la qualité des affrontements de boss, mais le bilan reste mitigé au vu des années de gestation et de l’aura quasi mythique entourant le projet. Quand une partie non négligeable de ce temps est avalée par des trajets répétitifs dans un overworld qui n’a pas grand-chose de plus à offrir que des cristaux et quelques puzzles expéditifs, difficile de ne pas y voir un léger décalage entre la promesse de “Beyond” et la réalité manette en main.
Narration, PNJ et ambiance
Sur le plan de l’atmosphère, Metroid Prime 4: Beyond fait exactement ce qu’on attend de lui. La solitude relative de Samus reste au cœur de l’expérience, portée par des ruines lamorniennes à déchiffrer au scanner, une architecture mystérieuse et des zones tantôt humides, tantôt minérales, cadrées avec soin. La mise en scène reste en retrait, sans overdose de cinématiques ni bavardages forcés, ce qui permet au jeu de préserver ce sentiment d’isolement qui a toujours distingué la série des autres FPS.
Là où Beyond change la formule, c’est avec l’arrivée de Mackenzie et de quelques PNJ humains, qui agissent comme un filet de sécurité pour les joueuses et joueurs moins familiers avec la grammaire Metroid. Leurs interventions restent globalement mesurées, souvent limitées à des félicitations ou à des rappels contextuels – comme ce coup de fil opportun qui incite à retourner fouiller une zone fraîchement quittée pour mettre à profit un nouveau pouvoir. De quoi froisser les puristes, qui y verront un début de “main tendue” de trop, mais difficile de ne pas y lire aussi une volonté claire d’ouvrir la porte à un public plus large. La série Prime n’a jamais été un mastodonte commercial, et après un développement aussi long qu’on l’imagine coûteux, Nintendo a besoin d’un indicateur fort pour justifier une éventuelle suite. Dans ce cadre, ces béquilles de narration et de guidage apparaissent moins comme une trahison que comme un compromis assumé.
La bande-son, enfin, joue la carte de la continuité. Les compositions alternent nappes ambient discrètes, motifs électroniques et montées plus appuyées lors des boss ou des pics de tension, sans jamais étouffer l’exploration. Certaines pistes marquent, d’autres s’effacent derrière le sound design, particulièrement soigné : impacts de tirs, grondement de la moto, échos métalliques dans les couloirs lamorniens… Au casque, Viewros gagne en relief et en présence, renforçant une ambiance qui demeure l’un des atouts majeurs de ce quatrième Prime.
Accessibilité, contrôles et confort
Côté prise en main, Metroid Prime 4: Beyond se cale sur les standards actuels : plusieurs configurations de touches, visée au stick, gyroscope activable, options de sensibilité, d’inversion des axes, de sous-titres et de lisibilité générale. Sur Switch 2, les commandes répondent bien et le HD Rumble accompagne proprement tirs et accélérations de la moto, mais tout n’est pas au même niveau : si le motion gaming se montre rapidement agréable en exploration, il perd en fiabilité dès que la pression monte, avec une visée gyroscopique qui a tendance à “décrocher” en plein boss et à imposer des recentrages au pire moment. Le jeu reste plus confortable au pad classique, plus stable et prévisible dans l’action. La vue à la première personne et la densité visuelle de certains environnements peuvent fatiguer sur de longues sessions, mais la bonne tenue de la version Switch 2 limite au moins les saccades, et quelques réglages de confort permettent d’adapter un minimum l’expérience aux joueurs les plus sensibles.
Points forts
➤ Sensations de combat et boss particulièrement soignés, avec des patterns variés et des affrontements mémorables.
➤ Direction artistique réussie, atmosphère typiquement Metroid Prime qui fonctionne dès les premières heures.
➤ Version Switch 2 très solide, image nette et fluidité convaincante, véritable vitrine technique du nouveau hardware.
➤ Biomes fermés globalement plaisants à explorer, avec quelques bonnes idées de level design et de narration environnementale.
➤ Intégration des PNJ et de Mackenzie plutôt mesurée, qui apporte un léger contexte sans complètement trahir le sentiment de solitude.
Points faibles
➤ Hub désertique peu inspiré, backtracking accentué par des traversées répétées d’une zone pauvre en activités réellement intéressantes.
➤ Pouvoirs psychiques surtout utilisés comme interrupteurs contextuels, énigmes souvent trop sages pour marquer durablement.
➤ Level design moins marquant et moins audacieux que dans les meilleurs épisodes de la trilogie Prime, avec une structure semi-ouverte qui peine à convaincre.
➤ Gimmick de la moto agréable à manier mais pas indispensable, attaché à un désert qui semble avant tout conçu pour la justifier.
➤ Les contrôles gyroscopiques qui perdent vite en précision dès qu’on agite un peu trop la manette.
Verdict
Metroid Prime 4: Beyond reste un épisode profondément contradictoire. Sur ses fondamentaux, Retro Studios fait le travail : sensations de tir solides, atmosphère soignée, boss très réussis, exploration en vue subjective qui rappelle immédiatement pourquoi la formule Prime a marqué les esprits. De ce côté-là, le contrat est rempli. Là où le bât blesse, c’est dans tout ce qui vient se greffer autour : hub désertique peu inspiré, backtracking qui s’éparpille dans Sol Valley, pouvoirs psychiques plus fonctionnels que réellement stimulant, moto plaisante mais sous-exploité…
Autant de choix qui donnent l’impression d’un jeu coincé entre Metroidvania dense et monde semi-ouvert plus moderne, sans jamais embrasser totalement l’un ou l’autre. Au final, Beyond ne parvient pas à faire oublier le choc du premier Metroid Prime ni la maîtrise tranchante de Dread, mais s’intercale quelque part entre les deux : moins iconique que la légende GameCube, plus ambitieux et parfois plus spectaculaire que le dernier épisode 2D. Un bon cru, parfois très bon, porté par ses boss, sa DA et sa technique sur Switch 2, mais qui laisse un arrière-goût de rendez-vous partiellement manqué au regard de son héritage et de son interminable gestation.