Mais derrière cette nouvelle étiquette se cache en réalité l’édition 2025 déjà vendue sur le site d’Eversim, agrémentée de quelques briques supplémentaires et d’une sortie très tardive sur la plateforme de Valve. De quoi justifier un prix plein pot, ou simple redistribution de cartes pour un simulateur déjà bien rodé ?
Geo-Political Simulator, c’est un peu le marronnier des amateurs de stratégie contemporaine : à chaque cycle politique ou presque, Eversim revient avec une nouvelle itération de son gigantesque tableur géant maquillé en carte du monde. Après les éditions Power & Revolution à répétition, le studio français a inauguré en 2024 le moteur Geo-Political Simulator 5, vendu directement sur son site et mis à jour en 2025 avec un gros focus sur le tourisme, la fortune personnelle, l’IA et les robots.
Avec Geo-Political Simulator 2026 Edition, l’équipe franchit enfin le pas de Steam. Officiellement, il s’agit de “l’ultime simulation du monde d’aujourd’hui”, avec la possibilité de démarrer en 2025 ou 2026, plus de 175 pays jouables, 600 variables par nation, des milliers d’entreprises et une ribambelle de scénarios collés à l’actualité. Dans les faits, on retrouve surtout la base GPS 5 – 2025 Edition telle qu’elle était déjà commercialisée, accompagnée de quelques systèmes supplémentaires (armée européenne, revenu de base, lois mondiales…) et reconditionnée pour le public PC le plus large.
Reste donc une question : si on a jamais touché à la série, est-ce que cette édition 2026 mérite vraiment notre temps, et nos 60 euros ?
Un immense bac à sable géopolitique, très niche mais fascinant
Geo-Political Simulator 2026 reprend le principe désormais bien rodé de la série : tu incarnes un chef d’État, un opposant ou le dirigeant d’une grande multinationale, dans une reconstitution très chiffrée du monde contemporain. Plus de 600 données sont suivies pour chacun des 175 pays, des relations diplomatiques aux taux de chômage, en passant par la dette publique ou la structure du PIB, tandis que plus de 3 000 grandes entreprises viennent compléter le tableau.
En pratique, le cœur du jeu reste la gestion politique et économique. Dans notre cas, la Belgique a servi de terrain de jeu principal : réforme de la fiscalité, expérimentation sociale, gestion de l’emploi, pression de l’Union européenne… Le titre est clairement pensé comme un “tableur planétaire” interactif. Si tu adhères à ce type d’expérience, façon Victoria ou autres simulations ultra austères, le jeu devient vite hypnotique, du genre à te faire avaler quatre heures sans que tu t’en rendes compte.
Interface austère, apprentissage brutal
Autant être clair : même pour un joueur habitué aux gros jeux de gestion économiques, l’entrée en matière est violente. Le jeu balance quelques pop-up tutoriels pour poser les bases, renvoie vers des pages wiki bien fournies pour expliquer les grands mécanismes du monde réel… mais reste avare en explications concrètes sur le fonctionnement de ses propres systèmes. Une fois la poignée de notions de départ assimilée, on est rapidement livré à soi-même.
L’interface, elle, s’en sort mieux que prévu. La carte occupe l’essentiel de l’écran, et les différentes politiques sont rangées par familles autour, accessibles via des icônes qui ouvrent des fenêtres contextuelles. Visuellement, c’est spartiate, mais la structure est logique : au bout d’une dizaine de minutes, on sait où cliquer pour modifier un budget, préparer un projet de loi ou suivre l’impact de ses décisions. On est clairement dans le camp “outil de travail” plutôt que “présentation léchée”, mais l’ergonomie tient la route.
Le jeu propose en plus une grosse bibliothèque d’aide, les fameux “tips du pro”, avec recherche par mot-clé. Problème : là encore, on reste souvent sur des explications théoriques (conséquences générales d’un chômage élevé, par exemple), sans forcément détailler comment ces phénomènes se traduisent dans le moteur du jeu. Résultat : même après une quinzaine d’heures, certaines mécaniques rarement utilisées obligent encore à fouiller un peu au hasard.
Gouverner, réformer, encaisser : un simulateur exigeant… mais parfois opaque
C’est lorsqu’on commence à légiférer que Geo-Political Simulator 2026 montre à la fois sa force et ses limites. La gestion des lois, des budgets et de l’opinion publique donne clairement le sentiment de “peser” sur le pays. Le portrait du dirigeant en bas de l’écran permet de suivre en temps réel l’évolution de la popularité, secteur par secteur, avec des indicateurs verts, neutres ou rouges : une énième réforme ratée, une motion rejetée au niveau européen ou une mesure sociale mal calibrée, et le graphique s’effondre.
Les manifestations et émeutes, elles, sont plus difficiles à décoder. La carte signale correctement les lieux de contestation, la thématique de la mobilisation, le nombre de participants et la part de la population concernée. En théorie, on sait si ça proteste contre “l’assistanat” ou pour d’autres revendications. En pratique, dès qu’il y a plusieurs projets de loi en parallèle, il devient compliqué d’identifier précisément ce qui a mis le feu aux poudres. Certaines occupations peuvent durer plusieurs jours sans retour très clair sur le rapport de force ni sur ce qui aurait permis de déminer la situation.
Même constat du côté des game over politiques : une partie marquée par plusieurs échecs de vote au Conseil européen s’est conclue par une destitution brutale, alors même que la popularité nationale avait été remontée à 100%. Les conditions exactes de cette chute n’étaient pas bien expliquées, ce qui laisse un goût un peu amer. On comprend globalement pourquoi le jeu sanctionne, mais pas toujours comment il y arrive.
Économie et politiques publiques : là où le jeu brille vraiment
Sur le volet économique, en revanche, Geo-Political Simulator 2026 fait très fort. Le budget est lisible, les curseurs sont clairs, et chaque ajustement indique immédiatement ce que l’on gagne ou ce que l’on dépense. C’est extrêmement gratifiant : on peut se fixer des objectifs sur le PIB, le chômage ou le déficit, et voir les courbes se déplacer progressivement dans la direction souhaitée.
Une des parties les plus parlantes : une Belgique transformée en laboratoire social. Taxation très élevée des robots et automates (plus de 30 000 €/an), hausse des salaires nets, baisse de la fiscalité sur les entreprises, réduction de l’impôt sur le revenu, aides à l’emploi poussées au maximum, diminution du temps de travail de 38 à 34 heures puis cap sur 30, augmentation des allocations sociales, relance massive du logement, investissements dans le nucléaire de troisième génération pour devenir exportateur d’énergie… Le tout fait exploser le déficit à court terme, de –5,7 % à plus de –8,7 % du PIB, mais quelques mois plus tard, le chômage tombe à 2,5 % et le déficit se stabilise autour de –6 %.
Est-ce que le modèle est parfait ? Non. Mais il donne suffisamment de feedback chiffré pour ressentir une vraie satisfaction quand une stratégie fonctionne, notamment sur l’emploi et la dynamique économique globale. À l’inverse, un revenu de base ambitieux à 1 500 € pour tout le monde, combiné à une réduction de la durée de chômage et des allocations classiques, a débouché sur manifestations, émeutes et destitution : le jeu n’a donc pas peur de casser tes belles utopies si elles sont perçues comme inacceptables par la population.
Diplomatie, nouvelles mécaniques 2026 et scénarios : du potentiel, quelques failles
Sur le volet international, la lisibilité de base est correcte : on identifie rapidement quels pays nous apprécient ou non, avec des icônes explicites. En revanche, la traduction française des contrats commerciaux manque de précision : lorsqu’un État propose un deal, il n’est pas toujours évident de comprendre s’il veut acheter ou vendre tel bien, ni dans quel sens va réellement la transaction.
Les relations avec l’Union européenne, elles, ajoutent un niveau de contrainte intéressant. Une hausse trop rapide de certaines taxes, par exemple sur les transactions financières, a toutes les chances d’être retoquée, y compris par des partis supposés plus favorables. Le jeu pousse plutôt à la réforme incrémentale : +0,5 % par +0,5 %, ou via de grandes “réformes chapeaux” qui mélangent mesures de gauche et de droite pour faire passer en douce des changements qui ne seraient pas votés seuls. Là, on sent une vraie logique politique.
Les nouveautés mises en avant pour l’édition 2026 (tourisme, fortune personnelle, armée européenne, IA & robots, lois mondiales, nouveaux scénarios 2025/2026…) forment un ensemble cohérent sur le papier.
En pratique, notre prise en main est restée concentrée sur :
➤ le tourisme, sans effet vraiment spectaculaire ressenti sur l’équilibre global du pays (probablement une question d’optimisation et de temps de jeu) ;
➤ les politiques liées à l’IA et aux robots, déjà évoquées plus haut, qui, elles, ont eu des effets lisibles sur l’emploi et les finances ;
➤ les scénarios économiques, dont certains peuvent être “cassés” assez facilement : un objectif de réduction du déficit de 1 % a été validé dès la mise à l’agenda d’une taxe sur les transactions boursières, alors même que la loi n’avait pas encore été votée. Une faille de conception, ou au minimum un manque de rigueur dans les conditions de succès.
Les mécaniques militaires, l’armée européenne, les lois mondiales ou les coalitions n’ont pas été explorées en profondeur dans le cadre de ce test, de même que la gestion de la fortune personnelle, volontairement laissée de côté. Impossible donc de juger ces aspects sans extrapoler.
Technique, confort et présentation : solide, mais très brut de décoffrage
Sur un PC portable équipé d’un Ryzen 7 série 4000, d’une RTX 3050 mobile (4 Go), de 16 Go de RAM et d’un SSD, en 1080p, Geo-Political Simulator 2026 tient la route. Les calculs journaliers s’enchaînent de manière fluide si l’on laisse le temps défiler en continu à vitesse rapide : pendant que l’on paramètre un budget ou une loi, les pop-up d’événements apparaissent en file d’attente, prêtes à être consultées une fois les ajustements terminés. Jouer “jour par jour” ou “semaine par semaine” en sautant le temps d’un bloc reste possible, mais devient vite moins agréable tant on se retrouve à traiter des dizaines de fenêtres à la suite.
Après plusieurs heures, on sent tout de même que la RAM est largement sollicitée, surtout si l’on enregistre ses parties ou sa capture vidéo en parallèle. Quelques événements ont semblé se comporter de manière anormale, sans se conclure proprement, mais rien qui rende une partie injouable.
Côté interface pure, le constat est le même que pour l’ensemble du jeu : c’est maîtrisable, fonctionnel, mais très peu séduisant visuellement. On reste dans une esthétique très “logiciel pro”.
Rejouabilité et public visé
Geo-Political Simulator 2026 est typiquement le genre de jeu “de chevet” pour un certain profil de joueur : celui qui lance Victoria 3, ou d’autres monstres de gestion pour s’absorber dans une longue session de quatre heures, sans cinématiques ni explosions, juste pour voir des courbes bouger. Chaque nouvelle partie est l’occasion de tenter une autre doctrine : État social maximaliste, ultralibéralisme assumé, sortie de l’Union européenne, choc fiscal, rôle d’opposition, gestion purement entrepreneuriale…
La rejouabilité tient autant au bac à sable qu’aux objectifs que l’on se fixe soi-même. Le jeu ne cherche pas à raconter une histoire, mais à te laisser expérimenter des politiques dans un cadre semi-réaliste, jusqu’à toucher les limites de son modèle. De ce point de vue, on frôle parfois le jeu éducatif : comprendre ce qu’implique vraiment une réduction du temps de travail, un revenu de base, ou une taxation forte des robots devient presque plus intéressant que de “gagner” la partie.
En revanche, il faut accepter les angles morts : certaines réactions de l’IA sont peu expliquées, certaines mécaniques restent opaques, et la présentation globale ne fera aucun effort pour appâter qui que ce soit en dehors du public déjà acquis à ce genre de proposition.
Points forts
➤ Un modèle économique lisible et gratifiant, qui permet de vraiment “sentir” l’impact de ses décisions.
➤ Un terrain de jeu colossal : 175 pays, des centaines de variables et de nombreuses pistes d’expérimentation politique.
➤ Une interface austère mais logique, maîtrisabl
e en quelques minutes malgré la densité.➤ Des parties rapidement hypnotiques pour qui adhère au concept “tableur géant”.
➤ De vraies tensions politiques : manifestations, émeutes, destitutions, pression européenne, etc.
➤ Un potentiel quasi éducatif sur le fonctionnement (et les limites) du monde contemporain.
Points faibles
➤ Tutoriels et aides très insuffisants pour expliquer les mécaniques propres au jeu, malgré une documentation générale abondante.
➤ Manque de clarté dans certains systèmes clés : causes précises des émeutes, conditions de destitution, coalition introuvable, contrats commerciaux mal décrits en français.
➤ Scénarios parfois fragiles, avec des objectifs validés de façon discutable (comme la baisse du déficit sur simple inscription d’une loi à l’agenda).
➤ Présentation visuelle extrêmement basique pour un jeu vendu au prix d’un AAA.
➤ Quelques événements qui semblent bugger et ne pas se conclure correctement.
➤ Une partie significative des nouvelles features 2026 (armée européenne, lois mondiales, fortune perso…) reste à éprouver sur la durée.
Verdict
Geo-Political Simulator 2026 Edition est un jeu rare, au sens littéral du terme. Rare par son sujet – une simulation politique et économique contemporaine aussi ambitieuse, il n’y en a pas dix sur le marché – et rare par son public : il s’adresse avant tout à celles et ceux qui voient dans un tableur un terrain de jeu et pas un outil de torture.
Vendu au prix fort, avec une présentation très brute et un moteur qui accuse clairement les années, il n’est pas à la hauteur esthétique des blockbusters qu’il côtoie sur la page Steam. En revanche, il propose déjà une base solide, vraiment stimulante intellectuellement, capable de te faire réfléchir au fonctionnement de ton propre pays autant qu’à la logique du jeu.
Avec une pédagogie moins sèche, une meilleure lisibilité de certains systèmes politiques, et une mise en forme plus soignée, on tiendrait là un incontournable du genre. En l’état, c’est un titre de niche très recommandable pour les passionnés de politique et de stratégie prêts à accepter une courbe d’apprentissage agressive et quelques scories de conception.