Dans la catégorie des jeux indés qui misent sur la douceur plutôt que sur la performance, Princess of the Water Lilies s’inscrit dans une veine contemplative assumée. Développé par Why Knot Studio en partenariat avec Red Dunes Games, le titre propose une aventure en 2D sans texte, centrée sur une petite chatte élevée par des grenouilles dans un monde où la nature se heurte à l’artifice. Une proposition atypique, portée par une direction artistique soignée et un gameplay accessible, qui cherche moins à défier qu’à émouvoir.
Une narration sans mots, mais pas sans intentions
Le jeu fait le choix radical de supprimer tout texte, voix ou tutoriel. L’univers est posé en quelques plans : une chatonne, un étang, une famille adoptive batracienne, un collier magique, et des machines qui grignotent peu à peu le décor. La narration repose sur des pictogrammes, des animations et des situations de gameplay qui font office de langage.
L’approche évoque Journey ou INSIDE, mais sans leur tension dramatique. Ici, la lecture est immédiate, presque scolaire, avec une volonté claire d’accessibilité. Le jeu s’adresse à tous les publics, enfants compris, et réussit à transmettre ses enjeux sans jamais recourir au texte. Une réussite technique, mais qui laisse peu de place à l’ambiguïté ou à l’interprétation.
Un gameplay qui ronronne
Au centre de l’expérience, un collier magique permet à l’héroïne de déclencher des réactions dans l’environnement : faire pousser des plantes, activer des champignons mobiles, révéler des passages cachés ou manipuler l’eau. Ces interactions, simples en apparence, se combinent pour former des énigmes environnementales légères mais bien construites.
Le jeu ne cherche pas à piéger le joueur. Il préfère l’observation à la performance, le test-and-learn à la punition. Les puzzles s’enchaînent avec fluidité, portés par une logique interne cohérente. On est loin des casse-têtes à la The Witness, et c’est volontaire : le plaisir vient du rythme, pas de la difficulté
Une vie, des checkpoints, et quelques bosses
La protagoniste ne dispose que d’un seul point de vie. Un contact avec un piège ou un ennemi, et c’est retour au dernier checkpoint. Dans les faits, le système est bienveillant : les points de sauvegarde sont nombreux, les pièges lisibles, et les séquences de plateforme suffisamment courtes pour éviter la frustration.
Les combats de boss, qui ponctuent chaque chapitre, apportent un peu de tension. Leur design est réussi — hippocampe mécanique, araignée de métal, oiseau d’horlogerie — et leur mécanique repose sur des cycles d’attaque à observer. Rien d’insurmontable, mais quelques phases un peu longues peuvent provoquer un soupir ou deux en cas d’échec tardif.
Le level design privilégie l’exploration à la ligne droite. Chaque zone fonctionne comme un petit labyrinthe organique, avec des retours, des raccourcis, et quelques secrets bien cachés. Le jeu affiche dès le premier checkpoint un pourcentage de complétion, comme pour prévenir : ici, on prend son temps.
Le rythme est volontairement posé, alternant séquences de plateforme tranquilles, énigmes environnementales et pics de tension lors des boss. En cinq à six heures, le jeu déroule son programme sans jamais donner l’impression de tirer à la ligne. Une durée de vie modeste, mais parfaitement calibrée pour ce qu’il a à dire.
Une direction artistique artisanale
Visuellement, Princess of the Water Lilies assume son héritage : celui des dessins animés des années 70 à 90, avec une patte artisanale et une palette de couleurs généreuse. Chaque environnement — forêt de champignons géants, ruines industrielles noyées, ciel brumeux traversé sur le dos d’un oiseau mécanique — compose un tableau vivant, lisible et immédiatement évocateur.
L’animation, en 2D squelettique, reste fluide et expressive. Le studio a d’ailleurs doublé sa taille en cours de production pour maintenir la cohérence visuelle, un effort notable pour un projet de cette envergure. Le choix du 2D peint, préféré au toon-shading 3D initialement envisagé, s’avère pertinent : il renforce la chaleur et la lisibilité du monde.
Une bande-son qui fait le lien
La musique, composée par Scott Ampleford sous la direction de Sarah Daly, accompagne l’aventure avec discrétion et justesse. Inspirée par Ni no Kuni, Hoa, Swan Lake ou Ori, la bande-son mêle orchestre classique et instruments folk pour créer une ambiance douce, parfois mystérieuse, toujours cohérente.
Chaque chapitre possède ses propres thèmes, et les morceaux ne sont quasiment jamais réutilisés. Le travail de composition, ambitieux pour un jeu indé, donne à l’ensemble une vraie identité sonore. Le jeu ne cherche pas à épater, mais à envelopper — et il y parvient.
Technique : propre, même sur Steam Deck
Testé sur PC portable et Steam Deck, le jeu tourne sans accroc. Aucun bug notable, des temps de chargement discrets, une consommation minimale sur Deck, et une prise en main immédiate à la manette. Le mapping est simple (saut, ronron, coup de patte, accroupissement), et le clavier-souris n’apporte rien de plus. Bref, un portage propre, comme on aimerait en voir plus souvent.
Points forts
➤ Direction artistique somptueuse, digne d’un dessin animé haut de gamme.
➤ Narration 100 % visuelle, claire et universelle.
➤ Mécaniques de collier/ronron bien exploitées, puzzles intuitifs.
➤ Boss mémorables, aussi beaux que lisibles.
➤ Technique irréprochable sur PC et Steam Deck.
Points faibles
➤ One-hit kill qui pourra décourager certains enfants jouant seuls.
➤ Quelques phases de boss un peu longues si l’on manque de patience.
Verdict
Sans révolutionner le genre, Princess of the Water Lilies réussit exactement ce qu’il promet : un conte interactif 2D soigné, poétique, accessible, porté par un sens du détail rare.
On y vient pour le chat mignon et les grenouilles ; on y reste pour la qualité de la mise en scène, la cohérence du gameplay et ce sentiment agréable d’avoir traversé un petit livre illustré vivant, sans une ligne de texte, mais avec beaucoup d’âme.