Le géant de Redmond sait que la PlayStation 2, annoncée comme un ordinateur multimédia complet, pourrait devenir une menace directe pour Windows. La première Xbox, puissante mais coûteuse, sert de cheval de Troie. Elle impose le nom “Xbox” dans l’industrie, envoie plusieurs signaux à Sony et permet à Microsoft d’apprendre le métier de constructeur. Ces quatre premières années posent ainsi les fondations de la stratégie qui aboutira à l’un des projets les plus ambitieux de l’histoire du groupe : la conception accélérée de la Xbox 360.
1. Une ambition née dans l’ombre de la PlayStation 2
Dès 2002, alors que la première Xbox n’a que quelques mois, Microsoft entame la réflexion autour de sa successeure. Contrairement aux usages, le constructeur ne souhaite pas attendre le cycle traditionnel de cinq années. La raison est simple : dans les studios de Redmond, tout le monde considère que Sony prépare déjà la véritable riposte, une PlayStation 3 nettement plus puissante, susceptible d’imposer un nouveau standard dans les salons et de menacer frontalement l’écosystème Windows. Pour Microsoft, prendre du retard serait fatal.
L’entreprise suit une conviction : la guerre des consoles ne se jouera pas sur la première Xbox, mais sur celles qui arriveront après la PlayStation 2. De là naît une philosophie nouvelle : devancer Sony, même si cela implique une conception sous pression, des choix audacieux et des risques industriels majeurs.
Jay Allard, figure clé de la culture interne Xbox, incarne cette vision. Visionnaire et défenseur d’un virage technologique, il est chargé d’imaginer les fondations conceptuelles de la prochaine console. À ses côtés, Robbie Bach incarne la dimension corporate du projet : analyser les marchés, définir les objectifs commerciaux et aligner la machine sur les ambitions du groupe. Ensemble, ils amorcent en 2002 un chantier gigantesque.
2. Un projet lancé beaucoup trop tôt
Le projet Xenon – nom interne de la future Xbox 360 – démarre alors que Microsoft ne possède aucune des compétences traditionnelles d’un constructeur japonais. La première Xbox, pensée comme un PC clos, dépendait en grande partie d’Intel et de Nvidia pour ses composants. Ces choix avaient rendu la machine coûteuse et difficile à rentabiliser. Face à la PlayStation 2, conçue sur mesure par Sony et ses partenaires, Microsoft comprend qu’il doit désormais maîtriser son architecture de bout en bout.
À la fin de l’année 2002, plusieurs événements accélèrent encore la nécessité d’un changement de cap. Les relations avec Nvidia s’enveniment autour du prix des composants, jusqu’à finir devant un tribunal arbitral. Intel refuse les conditions posées par Microsoft pour collaborer sur la génération suivante. À l’intérieur du groupe, le départ de Seamus Blackley, considéré comme l’un des “pères” de la première Xbox, accentue le sentiment d’urgence.
Tout indique qu’il faut repartir de zéro. Mais cette reconstruction doit s’effectuer dans un délai inhabituellement serré. Car une rumeur enfle : Sony prévoirait une sortie anticipée de sa prochaine console. Si Microsoft veut être prêt, il doit concevoir en deux ans ce qui demande habituellement trois ou quatre.
3. La rencontre décisive avec IBM
L’élément qui permet au projet Xenon de devenir viable arrive au début de l’année 2003 : IBM accepte de collaborer avec Microsoft. Non seulement IBM accepte de concevoir un processeur personnalisé selon des exigences très strictes, mais l’entreprise partagera même – fait rarissime – certains éléments de conception du Cell, la puce sur laquelle elle travaille alors en partenariat avec Sony et Toshiba.
Cette “référence” informelle permet à Microsoft d’éviter plusieurs années d’errance technique. Là où Sony choisit une architecture expérimentale composée d’un noyau central assisté de sept coprocesseurs spécialisés, Microsoft opte pour une approche radicalement différente : un processeur tricœur, symétrique, plus simple à exploiter pour les développeurs occidentaux, et mieux aligné sur la vision “PC-friendly” que le constructeur souhaite défendre.
Ce choix révèle l’ambition centrale du projet : séduire les développeurs tiers. Après une première Xbox lourde, coûteuse et complexe à optimiser, la future Xbox 360 doit devenir leur plateforme de prédilection.
4. ATI : une puce graphique avant-gardiste
Le partenariat avec ATI complète la colonne vertébrale technique du projet. Sur la base des travaux réalisés pour la GameCube, ATI conçoit une puce nommée Xenos, une architecture unifiée combinant des unités de traitement flexibles, capables d’exécuter des tâches habituellement cloisonnées. L’innovation la plus marquante est l’intégration d’une mémoire embarquée très rapide, permettant des techniques d’affichage – comme l’antialiasing en pleine résolution – encore inaccessibles aux cartes graphiques PC de l’époque.
Mais ce travail doit, là encore, être réalisé dans un délai déraisonnable. Les deux partenaires disposent de douze mois pour produire des prototypes fonctionnels, contre les deux ou trois années habituellement allouées à ce type de travail. Si les objectifs sont atteints, Microsoft sait déjà que cela laisse peu de temps pour les tests de fiabilité, un risque qu’il accepte pour devancer Sony.
5. Peter Moore et le pivot marketing
Au moment où la technique avance tant bien que mal, un autre élément décisif vient transformer l’identité du projet : l’arrivée de Peter Moore. Ancien dirigeant de Sega of America, Moore a l’expérience qu’il manquait tant à la première Xbox : maîtrise des cycles de lancement, compréhension des attentes du marché, vision marketing cohérente. Son regard extérieur pointe immédiatement deux priorités : définir très tôt le prix cible, et repositionner la marque pour dépasser l’image “gamer hardcore” héritée de la première génération.
Moore pousse Microsoft à élargir drastiquement sa cible. Pour rivaliser avec Sony, il faut non seulement séduire les joueurs assidus, mais aussi s’adresser aux femmes, aux familles et aux utilisateurs moins familiers avec les jeux vidéo. Le design, la communication et l’écosystème devront refléter cette ambition.
6. Un design façonné pour le salon, pas pour la chambre
Pour répondre à ces nouveaux objectifs, Microsoft confie le design externe de la console à Astro Studios et à une équipe japonaise chargée d’apporter une touche culturelle destinée au marché nippon. Le résultat s’éloigne délibérément de la première Xbox : la future 360 adopte des lignes blanches, épurées, légèrement concaves, pensées pour s’intégrer dans un salon moderne. Contrairement aux machines noires ou massives traditionnelles, la 360 doit évoquer un objet technologique accessible, dynamique, presque “vivant”.
La manette suit le même principe. Après le fiasco du premier “Duke”, Microsoft veut une manette plus légère, ergonomique, et surtout wireless – un choix encore audacieux en 2004.
7. Le prix de la vitesse
Si le projet avance, les contraintes s’accumulent. Pour tenir les délais, Microsoft doit réduire les coûts : pas de disque dur obligatoire, pas de Wi-Fi intégré, lecture sur DVD plutôt que sur HD DVD ou Blu-ray. Chaque choix est un compromis entre vision, budget et impératifs de production.
Surtout, la vitesse de développement empêche un travail complet sur la fiabilité du matériel. Les prototypes montrent déjà des problèmes de chauffe, conduisant à un élargissement de la coque et à l’externalisation du bloc d’alimentation. Ces signaux d’alerte seront mis de côté pour respecter le calendrier.
8. L’Europe dans le viseur
Dès le départ, Microsoft veut une sortie simultanée aux États-Unis, en Europe et au Japon. Cette ambition logistique inédite annonce l’importance accordée au marché européen. Là où la Xbox première du nom était arrivée tardivement, la 360 doit frapper fort et vite, capitalisant sur la maturité du Xbox Live et sur un positionnement plus mainstream. Le lancement européen sera ainsi conçu comme un pilier stratégique, placé au même niveau que celui du marché américain.