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PRIMAL – Le chant gothique d’une PS2 en quête d’âme

« Tu es plus que ce que tu crois être. » — Scree, gargouille immortelle et guide sarcastique

Titre du jeu

Titre du jeu

Metacritic 73

Contexte de création : l’ambition d’un studio en mutation

Début des années 2000. Après le succès de MediEvil, le studio SCE Cambridge veut prouver qu’il peut rivaliser avec les géants japonais de Sony. Le projet Primal, initialement nommé Fable, naît de cette ambition : une aventure gothique, narrative et mature, pensée pour le public européen.

Sous la direction de Chris Sorrell (créateur de MediEvil), le studio réunit une équipe ambitieuse : Katie Lea (game design), Mark Gibbons (direction artistique) et Andrew Barnabas (composition).

L’objectif est de créer une franchise inédite articulée autour d’un moteur maison capable de proposer de vastes zones connectées sans chargement visible — prouesse rare sur PS2.

Le développement dure près de quatre ans. L’équipe imagine un jeu centré sur la dualité — humaine et démoniaque — incarnée par l’héroïne Jen Tate. Malgré une présentation remarquée au TGS 2002 et une campagne marketing soignée, les retards s’accumulent, la fluidité des combats déçoit, et le public ne répond pas. Primal 2, pourtant déjà en préproduction, sera annulé. Le studio deviendra plus tard Guerrilla Cambridge, avant de fermer ses portes en 2017.

Primal : Trailer E3 2002

Concept et originalité : une dualité incarnée

Primal débute dans notre monde. Jen et son petit ami Lewis assistent à un concert lorsqu’une créature démoniaque surgit et enlève Lewis. Blessée, Jen sombre dans le coma… pour se réveiller dans un autre plan d’existence : Oblivion, un multivers où l’équilibre entre l’Ordre (Arella) et le Chaos (Abaddon) est rompu.
Guidée par Scree, une gargouille immortelle au ton sarcastique, Jen découvre qu’elle peut se transformer en quatre formes démoniaques, chacune liée à un royaume élémentaire :

Solum (Terre) :
force brute et résistance.
Aquis (Eau) : respiration et mobilité aquatique.
Aetha (Air / Temps) : vitesse, esquive, agilité.
Volca (Feu) : puissance destructrice et attaques massives.

Chaque transformation influence gameplay et narration. En explorant ces royaumes, Jen rétablit l’équilibre et affronte ses propres démons intérieurs. Le duo Jen/Scree, à la fois complémentaire et ironique, structure toute l’expérience : elle agit, il commente ; elle combat, il planifie. Cette relation, bien écrite, humanise l’aventure et donne au jeu une tonalité quasi philosophique.

Direction artistique et ambiance : gothique, mélancolique, sublime

S’il y a une chose que Primal réussit, c’est bien l’atmosphère.

Visuellement, le jeu frappe par son style : architectures gothiques, cités corrompues, lumières chaudes et reflets métalliques. Chaque royaume a sa palette et son ambiance sonore. Les cinématiques, nombreuses et intégrées au moteur, renforcent la cohérence de l’univers.

La musique, signée Andrew Barnabas (déjà compositeur de MediEvil), alterne entre nappes orchestrales mélancoliques et riffs industriels du groupe 16Volt, enregistrés avec le City of Prague Philharmonic Orchestra. Ce contraste sert la dualité du jeu : douceur et rage, humanité et démon.

Le doublage anglais est impeccable : Hudson Leick (Callisto dans Xena : Warrior Princess) prête sa voix et ses mouvements à Jen, tandis que Scree, doublé par Andreas Katsulas, insuffle une vraie personnalité au mentor de pierre.

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Dans les coulisses de Primal

Dans les coulisses de Primal, tout respire la démesure technique d’un studio qui voulait prouver qu’il pouvait rivaliser avec les plus grands. Le moteur maison, conçu pour relier de vastes zones sans aucun écran de chargement, était une prouesse sur PS2 Andrew Ostler, James Busby ou encore Gavin Bell affirment d’ailleurs avoir “poussé la console à ses limites”.

Les transformations de Jen ont exigé un pipeline inédit, capable de gérer morphing, particules et shaders translucides, un exploit pour l’époque sur PS2. Côté animation, le jeu a bénéficié d’une motion capture complète réalisée chez Ecoutez-Voir et Centroid, intégrant même les expressions faciales : une première pour un titre Sony Europe, qui développa pour l’occasion un système proche de celui que Guerrilla utilisera plus tard sur Killzone.

Visuellement, le directeur artistique Mark Gibbons puise son inspiration dans le tarot et la symbolique des quatre éléments : chaque royaume a son identité – l’architecture vampirique d’Oblivion, les coraux luminescents d’Aquis, le métal en fusion de Volca ou les ruines suspendues de Solum – le tout nourri par des influences allant de Hellraiser à The Dark Crystal.

La bande-son, enregistrée avec le City of Prague Philharmonic Orchestra, bénéficie d’un mixage dynamique qui adapte l’intensité musicale à la tension du moment, préfigurant les “soundscapes” modernes.
Et parce que l’équipe voyait déjà plus loin, un Primal 2 entra en préproduction dès 2004 : de nouveaux royaumes, un moteur étendu, mais le projet fut abandonné lorsque le studio fut redéployé sur 24: The Game. Des croquis et prototypes témoignent encore aujourd’hui de cette ambition avortée.

Primal: Making Off

Réception critique et postérité

À sa sortie, la presse oscille entre admiration et frustration.

IGN US : 7,5/10 – « un conte gothique superbe, handicapé par un système de combat bancal ».
GameSpot : 6,9/10 – « visuellement somptueux, mais rigide à jouer ».
Edge (UK) : 6/10 – « une idée superbe ralentie par son propre poids ».
Famitsu (JP) : 28/40 – respect pour l’ambition occidentale, mais peu d’adhésion.

Sur Metacritic, le jeu culmine à 73/100 côté presse et 8,6/10 côté joueurs, signe d’un attachement durable. 
Les ventes, elles, restent modestes : environ 400 000 exemplaires cumulés dans le monde, insuffisant pour justifier une suite. Mais la communauté garde le souvenir d’un titre audacieux, sincère et différent.
Aux États-Unis, la presse mainstream salue la direction artistique et l’écriture, mais le compare défavorablement à Devil May Cry 2 et Soul Reaver 2
En Europe, Primal trouve son public auprès des amateurs de fantasy et d’aventures narratives. En France, PlayStation 2 Magazine évoque « une œuvre à la fois contemplative et charnelle». Au Japon, la critique note la “lenteur toute britannique” du titre. Ironiquement, c’est cette lenteur, ce refus de la surenchère, qui séduit aujourd’hui les joueurs en quête d’atmosphères.

Héritage et influences

Malgré son échec commercial, Primal laisse une empreinte visible :
➤ Le duo complémentaire Jen/Scree inspire d’autres jeux narratifs : Enslaved, A Plague Tale, The Last Guardian.
➤ Le traitement de la transformation sera repris dans plusieurs RPG occidentaux (de The Witcher 2 à Dark Siders).
➤ Sa direction artistique influencera des productions comme Heavenly Sword ou Hellblade : Senua’s Sacrifice, toutes deux héritières du style “gothique-mythique britannique”.

L’approche symbolique du scénario (ordre/chaos, humanité/démon) préfigure certains récits modernes de
FromSoftware.

Republié sur le
PlayStation Network en 2012, Primal connaît une seconde vie numérique. Des fans restaurent les cinématiques en HD, traduisent les sous-titres, publient des analyses approfondies sur YouTube et RedditLe jeu est régulièrement cité dans les tops “hidden gems PS2”, souvent aux côtés de ICO ou Shadow of Memories. Sa cote en physique reste abordable (40 – 60 € selon l’état), preuve qu’il conserve une aura, mais sans inflation artificielle.
Aujourd’hui, son rythme contemplatif et son univers mélancolique s’accordent parfaitement avec les attentes des joueurs attirés par des expériences “narratives & immersives”.

Studio en lumière : SCE Cambridge / Guerrilla Cambridge

Fondation : 1997 (rachat de Millennium Interactive)
Spécialité : action-aventure et design gothique

Jeux notables :
➤ MediEvil (1998)
➤ C-12: Final Resistance (2001)
➤ Primal (2003)
➤ Ghosthunter (2004)
➤ 24: The Game (2006)
➤ Killzone: Mercenary (PS Vita, 2013)
➤ RIGS: Mechanized Combat League (VR, 2016)

Fermeture : janvier 2017

SCE Cambridge restera dans l’histoire PlayStation comme le studio des expériences différentes : audacieuses, imparfaites, mais toujours portées par une identité artistique forte.

Pourquoi il mérite sa place dans les 25 ans de la PS2

Parce qu’il incarne l’audace de la PS2 européenne, celle d’un temps où Sony laissait ses studios rêver sans se soucier des chiffres.
Parce qu’il a tenté de faire dialoguer l’action, l’émotion et la philosophie dans un même souffle, sans jamais céder à la facilité.
Parce qu’il a offert à la console un visage différent : celui d’un jeu qui préfère murmurer qu’exploser, séduire par la mélancolie plutôt que par la démesure. Et surtout parce qu’il rappelle qu’au cœur de l’âge d’or des blockbusters, la PS2 savait encore accueillir des œuvres à âme, fragiles, ambitieuses et profondément humaines.

Vingt ans après sa sortie, Primal reste une expérience unique : ni totalement jeu d’action, ni pure aventure narrative, mais un pont entre les deux. C’est l’un de ces titres qu’on n’oublie pas une fois la manette posée : imparfait, lent, sincère.

Dans notre rétrospective des 25 ans de la PlayStation 2, Primal représente plus qu’un simple souvenir : c’est le témoignage d’une époque où Sony laissait à ses studios la liberté de rêver, quitte à se brûler les ailes.